réflexion à destination d'ateliers pédagogiques

Image-vidéo et nouvelles technologies

    L’image-vidéo est protéiforme. Elle apparaît quotidiennement sous des aspects variés, s’ajustant, s’accordant aux mass-médias, à l’information, aux technologies portables de communication, au monde du spectacle et à la création contemporaine. Les avancées technologiques se succèdent sans forcément peser le poids de leur réelle utilité et la vitesse des innovations ne nous permet pas toujours d’avoir le recul suffisant pour juger du bienfait ou non de ces progrès.

Où et comment les placer dans les priorités d’une société, et dans quelles mesures nous rendent t-elles meilleurs  ?

L’image sacralisée

L’image prend une place particulière à l’intérieur de ce fonctionnement car elle semble encore et toujours contenir une force d’attraction que nous avons du mal à expliquer. L’hyperréalisme et l’esthétisme des images d’aujourd’hui peuvent nous laisser indifférent par l’insignifiance de leur message, comme détenir une force émotionnelle malgré les défauts de leur traitement. Ce simple constat montre bien que l’attraction qu’exerce l’Image sur nous va bien au delà d’une simple considération de forme (il se peut que l’image jouant de l’illusion (hyper-définition, cinéma 3D) soit une simple tendance du moment).

L’image est donc bien plus que cela ; elle contient ce pouvoir magique et transcendant dont les pouvoirs religieux des siècles passés en Occident se méfiaient jusqu’à l’interdire. L’illusion et la confusion qu’elle entretenait avec la réalité fût ensuite une problématique dans l’histoire de la peinture. Certains grands peintres semblaient dire  : « Vous êtes devant une image », « Ceci n’est pas la réalité ». Et ceci de peur de rompre avec le pouvoir quasi-religieux de l’Image.

Omniprésence des images

Aujourd’hui, qu’en est-Elle, ou plutôt qu’en est-Il du monde de l’image, puisque nous ne sommes plus en mesure de la séparer de la technologie qui la fabrique et la diffuse. Avec la TV, toujours aussi présente, le cinéma se renouvelant dans de nouvelles innovations (3D, hyper définition numérique), les jeux vidéos poussant sans cesse les limites de l’illusion et du réalisme, l’essor cette dernière décennie d’Internet avec l’accès de plus en plus large aux biens culturels et au téléchargement (musique/vidéo), nous vivons bel et bien dans une société de l’image, régissant notre façon de voir le monde.

L’ Image sous toutes ses formes semble s’étaler aujourd’hui dans les moindres petits recoins de notre vie privée, active et sociétale, et mène nos existences dans ses différentes strates. Nos mégapoles baroques se confondent avec l’histoire du cinéma, et l’habitant-spectateur est plongé dans des univers visuels et sonores spectaculaires ; nos souvenirs sont un mélange d’images télévisuelles, de rêves et de réalités vécues « L’ai-je rêvé, ou réellement vécu  ? », « Est-ce bien moi qui l’ai vécu ?!! ».

Contextualiser

Cette révolution numérique et technologique a depuis provoqué d’énormes bouleversements de l’échelle individuelle à celle planétaire. Ce nouveau monde dans lequel nous vivons, nous devons pouvoir le voir, le vivre et l’appréhender avec mesure. Ces bouleversements technologiques doivent pouvoir être contextualisés selon l’individu, sa culture, sa situation et selon la partie du monde dans laquelle ils prennent place. 

On voit se développer par exemple ces dernières années un cinéma africain, qui au delà de se raconter, montre et révèle une manière particulière d’utiliser ce médium. Ces images n’ont pas du tout la même signification qu’en Occident, exprimant d’une manière beaucoup plus directe les singularités de son histoire et de son regard, car peut-être d’avantage détachées de la pesanteur des références. La vidéo est également de plus en plus utilisée dans les zones rurales de l’hémisphère sud comme outil de sensibilisation et d’information (sur les nouvelles techniques agricoles par exemple). Là, l’outil-vidéo prend un aspect beaucoup plus utilitaire, du fait de son emploi beaucoup plus mesuré par rapport aux pays d’Occident.

Lumières et aveuglement 

Toute cette nouvelle technologie n’apporte ses bienfaits que si elle s’inscrit et s’appuie sur une culture forte nourrie de ses valeurs. Si l’essor et le développement de ces outils, misant sur la transparence de l’information, nous ont sorti au siècle dernier des pouvoirs obscurantistes, si ces technologies ont permis le soulèvement de peuples entiers dans les pays du Maghreb, la vitesse de ces « lumières » finit aussi par nous aveugler. Et par nous déconnecter de nos droits et de nos devoirs sociétaux et du combat que nous devrions engager quotidiennement pour le maintien, le progrès et la noblesse de nos valeurs.

En Occident, l’individu se retrouve bien des fois isolé face à une information de masse, qui dans sa lourde charge émotionnelle, finit par provoquer le désengagement et le sentiment de l’action vaine, et le soulagement de cette impuissance dans le jeu, la violence ou le divertissement de l’image. Si nous ne parvenons pas à faire le tri, les images sous toutes leurs formes deviennent matière à consommer, non plus comme nourriture de l’âme et de l’esprit, mais pour combler des vides.

Même la personne la plus équilibrée est tombée dans le piège. Lorsque le désenchantement gagne du terrain, reste donc à se brancher à ces technologies nous donnant l’illusion de faire partie d’un Tout. Dans une société ultra-technicisée, la technocratie et ses experts prend le pas sur une pensée et un regard global que la politique peine à représenter. Les citoyens se trouvent enfermés et isolés de plus en plus dans ce fonctionnement… et derrière leurs écrans. Et le caractère entier de l’image en mouvement (image/son/temps) en fait à la fois un symbole et l’objet le plus significatif du risque d’enfermement, d’insensibilité ou d’indifférence par rapport au monde extérieur et à l’organisation sociétale.

Vivons-nous déjà sur des îlots suspendus nous détachant de la communauté de valeurs ?

Après l’art pour l’art du début du siècle dernier, la société du spectacle prenant place dans l’après guerre, sommes-nous arrivés aujourd’hui, à la culture pour la culture, à l’image pour l’image et à une société sur-représentée. Ces outils d’information et de communication auxquels l’image participe devraient plutôt nous élever que de nous suspendre.

Car cette suspension est-elle tenable lorsque l’on est loin d’avoir atteint l’équilibre et lorsque l’illusion visuelle et matérielle voile les difficultés d’une société  ? « L’individu contemporain vit-il vraiment en état « d’apesanteur temporelle », resserré dans une immédiateté vidée de tout projet et de tout héritage ? Se confond-il avec « l’homme présent » devenu étranger au temps, plongé dans le seul temps de l’urgence et de l’instantanéité ? » (Gilles Lipovetsky, Les Temps hypermodernes).

Nous souffrons de ce fonctionnement en vase clos, et nous avons des difficultés à y voir une porte de sortie et des points de mire salvateurs.

Pratiques mesurées

Les malaises sont forcément complexes et prennent leurs racines dans de multiples facteurs actuels et passés. Seulement, concernant la pratique de l’image, ne faut-il pas retrouver du bon sens et un rééquilibrage, et ne pas tomber à la fois dans une utilisation excessive nous coupant du monde extérieur et succomber aux illusions séduisantes et manipulatrices des nouvelles technologies. L’Homme social a été pensé dans la complexité de son réseau. « Plus un être aura un comportement de communication complexe, plus il sera haut dans l’échelle de valeur de l’univers », « Si telle personne est mal dans sa peau, c’est qu’elle communique mal et que son image n’est pas positive » (Philippe Breton, L’utopie de la communication). Nous sommes aujourd’hui prisonnier de cette idée, qui nous oblige à suivre indubitablement les avancées technologiques, au risque d’être largués et déconnectés de la société.

Nous manquons ainsi véritablement de point de mire, pour nous donner la force de passer à travers le Tout-Image. Il serait intéressant de connaître le temps passé devant nos ordinateurs. Nous nous connectons et nous branchons à des logiciels et systèmes qui dans l’excès nous formatent – toxicomanie moderne- alors qu’ils doivent remplir ce simple rôle d’outils et de moyens.

L’image salvatrice

Prolongement de notre regard et de nos sensations, l’image en mouvement doit aussi rester dans son caractère de forme et de médium ; je dois pouvoir la traverser, sans qu’elle fasse écran, passer au delà et ne pas la prendre pour une finalité. Car utilisée avec mesure et exploitée dans une pleine inscription de l’environnement, l’image en mouvement peut ouvrir de nouveaux champs de représentation et de compréhension des différentes réalités menant une société. Au côté d’un monde pensé, cadré, régulé, analysé, décrypté, l’image explore et expose l’incertain, l’aléatoire, le mystérieux, le vague et le problématique. L’image est ouverte à une multitude d’interprétations jusqu’à y échapper et entrer dans la sensation pure.

Associée à d’autres pratiques dans le champ de la culture ou de la science, l’image doit pouvoir accompagner plutôt qu’être bien des fois en bout de chaîne. Que penser de la TV qui nous attend le soir, de la salle de cinéma nous sortant de notre quotidien que nous peinons à inventer, de notre écran d’ordinateur nous protégeant de la présence physique de l’«ami» virtuel. L’omniprésence de l’image (l’on vit bel et bien dans une vidéosphère (Regis Debray, Vie et mort de l’image), où l’image fait vérité), ajoutée à son pouvoir d’attraction, et aux manques de perspectives sociétales, provoque ainsi ce phénomène de société où les pouvoirs médiatiques et technologiques de l’image se placent en point de mire pour un grand nombre de personnes. Le spectateur plonge dans l’écran et ne passe pas au delà. A l’image-réalité, redoutée, vient s’ajouter aujourd’hui l’image-finalité.

Ce n’est pas une totale remise en cause de nos fonctionnements et nos technologies, mais plutôt un glissement progressif et vers une utilisation plus ciblée et modérée. Si nous considérons l’omniprésence et les excès d’utilisation des images, nous devrions pouvoir considérer son inutilité dans certains cas et imaginer sa disparition au profit d’autres pratiques et expressions. L’immatérialité de l’image et des réseaux posent aussi la question d’une « pesanteur » à retrouver, que ce soit dans la présence du corps, la considération d’un espace, d’un lieu, d’un territoire et de son histoire. De « voyager » via les jeux vidéos reproduisant d’une manière surprenante et déconcertante des villes entières, n’est pas un mal en soi ; ceci devient par contre problématique si le joueur ou le « voyageur virtuel » ne pose plus le pied sur la terre ferme et si la lumière de son écran remplace celle du dehors.

L’image et ses technologies comporte donc ces deux facettes  : l’une enfermant et suspendant, l’autre élevant, enrichissant, voire, transcendant.

Dans notre société et son fonctionnement, des populations plus fragiles que d’autres sont d’avantage touchées par cette première facette, perverse, tout en contenant un potentiel dynamique et de renouveau permettant d’atteindre l’autre facette, salvatrice. Les jeunes générations, touchées par la précarité, ont pu par exemple se mobiliser dans des actions politiques de grande ampleur, en se servant habilement des réseaux sociaux, via les nouveaux outils numériques. Le contrôle et l’appropriation de ces technologies, annonce déjà la métamorphose d’un nouveau monde et la construction de nouvelles valeurs solidaires et égalitaires.