réflexion destinée à un atelier pédagogique

Les paysages hybrides

    Un coin de campagne ou de ville fait sens tout d’un coup sous nos yeux, sans que, le plus souvent, nous puissions l’expliquer. Notre mémoire nous fait souvent défaut, et nos sensations, ancrées au plus profond de notre personnalité sensible et affective, prennent bien souvent le dessus. Cette mémoire imparfaite crée ainsi des incohérences dans l’enchaînement et la cohésion de nos images : le tableau se brouille et l’imagination se charge de combler les manques ;

notre manière de voir et de regarder est donc étroitement lié à un vécu, à des évènements marquants de notre vie autour desquels s’inscrivait un environnement. Notre manière de voir dépend aussi et étroitement d’une culture, de savoirs, d’un cheminement de pensées, d’une relation à la Nature héritée aussi des Lumières, sans Lesquelles Mer et Montagne nous inspireraient encore horreur et chaos.

Culture-Nature

– Un paysage n’est donc jamais neutre, mais le produit d’une lente évolution de l’espèce humaine et de sa relation face à son environnement. Notre regard n’a pas l’âge de notre présence physique au Monde, mais bien celui des millions d’années de l’espèce humaine : nous voyons à travers son prisme, et sommes chacun un précieux et riche condensé ;

« … alors que nous pensions baigner dans la vérité du monde tel qu’il se présentait à nous, nous ne faisons que reproduire des schémas mentaux, forts d’une évidence lointaine, et des milliers de projections antérieurs. Cette constante réduction aux limites d’un cadre, monté là par des générations de regards, pesait sur nos pensées, qu’elle orientait impérativement. » (Anne CAUQUELIN, L’invention du paysage) ;

– malgré tout, on se prête à croire que nous pourrions encore être complètement nu au sein de notre environnement naturel, et que la Nature pourrait être notre exact miroir. Ces moments, nous les appelons Paysage et l’accord secret s’établissant entre nos mouvements intérieurs et ceux de la Nature, entre l’arborescence végétale et celles de nos poumons, entre les sources du sol et les flux sanguins de notre corps … ;

– seulement, cette vision des choses n’est -elle pas aussi lié à une philosophie lointaine et millénaire, que nous aurions héritée il y a peu du continent asiatique. Et n’était-ce pas aussi notre confort récent de subsistance, qui permet de nous poser paisiblement, corps et esprit, dans le mouvements des éléments.

Séparer notre nature de notre culture, et vice versa, serait nous leurrer profondément. Nous avons autant à fermer les yeux et nous sentir indivisible avec le sol qui nous porte et l’air qui nous enveloppe, et à les rouvrir et prendre conscience que ce cadeau du ciel ne serait possible sans la compréhension entre les Hommes, notre culture s’inscrivant dans une Nature que nous sommes parvenu à apprivoiser. Le ravissement et les perceptions individuels se réalisent aussi dans un environnement collectif.

Enfance et innocence du regard

– Nous aurions la légèreté de penser que l’enfant est cet Être d’innocence, voyant le monde d’un regard simple et pur… Propre à nos sociétés contemporaines, ses premières années de développement ont déjà absorbé une profusion d’informations.
Éducateurs et parents, nous avons donc à retrouver l’équilibre entre une trop forte exposition des enfants face au surplus d’images et à la la séduction/manipulation des nouvelles technologies, comme à éduquer l’oeil de l’enfant à la culture de l’image, en lui servant de guide dans la multiplicité des types de représentations ;

– et force est d’admettre que nous avons aussi, adultes, à nous nourrir de l’aspect inédit de cette génération (dit Y…), née dans le boom des nouvelles technologies d’information, de communication et de l’image, pulvérisant les frontières et les séparations culturelles entre les peuples du Monde. L’horizontalité des réseaux sociaux ouvre ainsi de nouveaux espoirs et de prometteuses évolutions sur un monde plus égalitaire, où chacun apporterait ses richesses sans l’aspect oppressant des hiérarchies…

– l’espoir de cette vision est aussi une grande utopie et génère des comportements particuliers. L’individualisme pose aujourd’hui question : d’un côté, il exacerbe des personnalités égoïstes et de l’autre isole dans une hyper-technologie des personnalités plus faibles. Dans l’absolu, l’individu n’aurait plus besoin de la présence de l’Autre pour ressentir (bibliothèque d’émotions et de sensations par l’image), pour apprendre (bibliothèque de savoirs via la libre circulation des informations), ou pour construire ses concepts de vies…

« Ce n’est pas le paysage qui est petit, c’est la fenêtre par laquelle on le regarde »

Ainsi le paysage, n’est-il pas – même s’il est vécu intimement et individuellement – ce bien commun à toutes et tous, et cette représentation qui peut condenser et lier des aspirations culturelles collectives.

Cette notion de Paysage pourrait-elle nous détourner d’une trop forte personnification des représentations contemporaines – starisation par les mass-media – compétitivité individuelle – et réconcilier ce besoin absolu de se regarder et se voir faire avec une Nature imperturbable ;

Aussi cette notion de Paysage doit pouvoir être étendue et contextualisée :

– d’un point de vue territorial et environnemental, on doit pouvoir concevoir autant un paysage rural qu’urbain : à travers une campagne à reconquérir, et ses nouveaux enjeux contemporains, économiques et environnementales ; à travers les espaces urbains où vivent aujourd’hui la majorité de la population mondiale ;

– d’un point de vue technique et avec l’avènement des nouvelles technologies, les fenêtres d’images se sont démultipliées sous nos yeux : diffusion d’images du bout du Monde et du Cosmos (des airs aux abysses, du sol martien aux trous noirs) et omniprésence quotidienne de l’image (du creux de la main, et des « smart phone » aux projections monumentales sur façades d’immeuble) ;

– d’un point de vue perceptif : on peut tout aussi bien percevoir d’une manière active et éveillée et par nos 5 sens (ce que je vois et ce que je prolonge par l’imagination), que d’une manière passive et inconsciente, et se construire des paysages et des épopées oniriques…